Clarindo-Oliveira, C. (2006). Les éléments de résilience chez les Demandeurs d’Asile et Réfugiés Politiques. Memorandum, 10, 123-130. Retirado em   /  /  , do World Wide Web http://www.fafich.ufmg.br/~memorandum/a10/clarindo01.htm

Les éléments de résilience chez les demandeurs d’asile et réfugiés politiques

Elements of resiliency at the Asylum Applicants and Political Refugees

Cláudia Clarindo-Oliveira
Université René Descartes – Paris V
Brasil

 

Résumé
Cette étude a pour objectif d’analyser l’influence des composants de résilience, chez les demandeurs d’asile et réfugiés, dans leurs dynamismes d’intégration à la société française, en mettant en valeur la contribution des appartenances "religieuses" à ce processus. Notre hypothèse est que le sentiment d’appartenance et la recherche d’un sens à la vie, indispensable à l’existence, peut être influencé par les pensées subjectives traversées par des contenus religieux. Le religieux traverse l’imaginaire humain et contribue au dynamisme identitaire en permettant au sujet de donner continuité et sens à ses expériences. L’étude des manifestations du religieux et son influence sur la dynamique de reconstruction des significations chez les demandeurs d’asile (D.A.) et réfugiés peut nous aider à comprendre les stratégies identitaires développées dans des circonstances adverses et les aider à réduire un peu la frustration vécue par ce douloureux parcours d’exil.

Mots clés: demandeurs d’asile; résilience; phénoménologie; religion

Abstract
This study aims to analyse the influence of components of resiliency with respect to asylum applicants and refugees, in their drive to integrate French society, by emphasizing the contribution of "religious" belonging to this process. Our hypothesis is that the feeling of belonging and the search for meaning in life, essential to existence, can be influenced by subjective thoughts crossed by religious content. Religiosity crosses the human imagination and contributes to the drive for identity while allowing the subject to give continuity and direction to its experiences. The study of religious manifestations and their influence on the dynamics of reconstruction of meaning among asylum applicants (A.A.) and refugees can help us to understand identification strategies developed in adverse circumstances and help them a little to reduce the frustration experienced in this painful course of exile.

Keywords: resiliency; asylum applicants; religious; phenomenology

 

Qui sont les Demandeurs d’Asile?

“Un réfugié n’est pas faible ni fragile comme on le croit. C’est par contre une personne d’endurance ferme et persévérante. C’est une personne forte de moral et d’esprit contrairement à ce qu’on imagine". (Témoignage d’un réfugié politique)

Un immigré est une personne qui désire s’installer dans un pays dont elle n’a pas la nationalité pour plusieurs raisons: économique, politique, éducationnelle, touristique, etc. L’immigration peut signifier l’envie de changer de vie, de tenter sa chance, d’apprendre une autre langue, de connaître d’autres cultures, etc., ou simplement la curiosité de vivre une situation autre que celle de son milieu d’origine. Si nous élargissons un peu le sens philosophique du mot migration, nous pouvons être immigrés ou émigrés par le simple fait de changer d’adresse en restant dans un même pays...

Les Demandeurs d’Asile (D.A.) sont un groupe particulier dans le cadre des immigrés. Parfois ils ne choisissent pas le pays où ils se trouvent et ce sont souvent, des personnes qui portent une histoire douloureuse dans leurs bagages; marquées par des souffrances physiques et psychiques, ainsi que le désir d’un nouvel avenir.

La demande d’accueil dans un pays étranger est faite soit à cause de persécutions vécues dans leur pays, soit pour des conceptions idéologiques, soit pour des raisons de couleur de peau, de religion, ou encore pour d’autres causes qui les laissent dans une situation de minorité sans privilèges. La démarche permettant d’avoir un statut de Réfugié Politique, en France, passe par des étapes qui sont longues et difficiles à vivre. Les D.A. peuvent rester dans une situation provisoire en attendant la prononciation de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) ou de la CRR (Commission de Recours des Réfugiés) pendant plusieurs années. Cette attente peut engendrer des stratégies individuelles et groupales, plus ou moins adaptées ou reconnues par le pays d’accueil, les aidant à supporter l’angoisse de ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain. Notre méconnaissance de ces stratégies, et notre savoir théorique sans rapport avec leurs vécus et leurs besoins spécifiques, nous font proposer des projets qui ne correspondent pas aux intérêts de ce groupe, ni aux intérêts de la vie communautaire en aggravant encore plus le caractère de la différence et en oubliant toute la richesse qu’elle peut nous apporter.

Plusieurs études ont pour objectif de comprendre le parcours des D.A. et des réfugiés politiques. C’est vrai que leurs expériences, parfois traumatisantes, parfois fascinantes, nous questionnent sur nous-mêmes. Comprendre leurs dynamismes de vie est important pour connaître l’être humain dans ses possibilités de transformer sa vie, son entourage ainsi que l’Histoire.

"La résilience est un processus qui permet de reprendre un type de développement malgré un traumatisme et dans des circonstances adverses". (Cyrulnik, 2003, p.12)

Quelles sont les stratégies utilisées par les D.A. pendant les démarches d’obtention du statut de réfugié ? Comment font-ils pour ne pas perdre l’espoir? Quel est le lieu de leurs traditions et croyances pour qu’ils puissent continuer à donner un sens à leur vie ? Ou encore, est-ce que la croyance (la foi) peut les aider à supporter ce défi?

Cyrulnik (2003, p. 16) appelle résilience la "stratégie de lutte contre le malheur qui permet d’arracher du plaisir à vivre" malgré tout. Nous nous approprierons cette définition au cours de nos discussions car elle semble s’approcher de ce dynamisme que nous observons chez les D.A. et réfugiés politiques, et qui leur donne le courage de continuer dans des conditions difficiles.

La résilience a des composantes variables selon l’histoire de chacun ou de chaque groupe. La famille, le rêve d’un avenir meilleur, les amis du pays d’origine et ceux du lieu d’accueil, la musique, le sport, ainsi que la religion sont des fortes composantes de la résilience (Vatz Laaroussi et Rachédi, 2004). Elles représentent des forces essentielles pour surmonter le deuil du départ et les pertes actives de l’exil et peuvent aussi, jouer un rôle important dans la dynamique de la résilience.

L’appartenance à un groupe est un autre élément important dans les processus identitaires. L’exercice de donner sens aux nouveaux événements de la vie peut être facilité par le partage des expériences. Le sens du religieux (ou simplement la religion en considérant la racine du mot en latin: re-ligare, relier, faire des liens, refaire des alliances) a, pour nous, un rôle important dans les processus d’identification, de signification et d’adaptation des nouveaux groupes! La religiosité est considérée dans cette étude, dans son sens plus large: comme foi, comme croyance; et non comme une institution et ses règles de conduite. Bien plus que de connaître le contenu des croyances, l’objectif est de vérifier leur influence sur le processus d’adaptation, et de savoir comment elles peuvent nous donner des éléments de résilience.

Si notre hypothèse se confirme, c’est à dire: si le religieux constitue un élément de la résilience, le connaître peut nous donner des pistes importantes pour la construction de projets plus adaptés. Et si nous constatons qu’il exerce un rôle dans la structuration des groupes comme il en a eu dans d’autres situations historiques, il pourra aider à réduire un peu la frustration causée par la démarche de l’exil qui est "à la base de leurs problèmes psychiques". (Rey-Von Allmen, 1993, p. 253)

Le groupe des demandeurs et les ateliers

Le groupe de Demandeurs avec lequel nous avons travaillé était constitué de douze D.A. isolés venus d’Afrique et des pays de l’Est, inscrits et suivis au Secours Catholique de Lyon, dont la majorité venait des pays de l’Est (Georgie, Biélorussie, Kazakhstan).

Notre démarche avec le groupe consistait en deux ateliers hebdomadaires ayant comme but de leur donner un lieu et des instruments qui leur permettraient d’exprimer leurs sentiments en utilisant la lecture et le théâtre comme médiateurs. Dans le contexte du théâtre, nous les invitions à créer de petites scènes de leurs quotidiens pour leur permettre de travailler leurs émotions, de mieux comprendre leurs souffrances; et ainsi de les aider à se repérer dans leurs vécus et leurs expectatives. L’objectif de l’atelier lecture était le même que celui de l’atelier théâtre en utilisant des textes comme instruments de médiation.

Nous sommes restés six mois avec le groupe en les aidant à organiser les ateliers et en exerçant un rôle d’accompagnement et d’interlocuteur actif. Pendant ce temps nous avons pu faire notre observation sur la dynamique du groupe ce qui nous a été d’une grande valeur pour notre étude.

La méthode phénoménologique

"Le savoir de l’expérience est un savoir qui ne peut pas se séparer de l’individu de l’expérience. Il ne se trouve pas, comme la connaissance scientifique, en dehors de nous, mais dans les configurations de sens qui nous permettent de construire une personnalité, un caractère, une sensibilité ou, en définitif, une façon singulière d’être éthique et esthétique". (Larrosa, 2002, p. 27)

La phénoménologie donne emphase aux aspects subjectifs du sujet en considérant que l’attribution du sens est un exercice intentionnel, une action qui veut trouver une direction certaine. C’est à dire: au moment où le sujet donne une direction à ses actions, sous forme de gestes ou de paroles, il donne aussi une signification au monde dans lequel il se trouve. Dans les groupes, ce processus se potentialise car l’expérience partagée est un moteur de transformation tant au niveau de la vie privée qu’au niveau des relations sociales. Observer les participants du groupe des D.A. et réfugiés pendant leur travail de re-signification a constitué une démarche importante pour la compréhension de notre sujet de recherche.

Dès le début, nous pensons utiliser l’approche phénoménologique comme instrument de compréhension des données par l’observation participante et par des entretiens car ils nous permettent de travailler sur la description subjective du sujet, en considérant ses expériences et ses actions comme éléments dotés d’intentionnalité.

Notre présence auprès du groupe nous a permis de constater que parler des questions religieuses s’avère problématique pour beaucoup d’entre eux. Les questions qui abordent directement la problématique de la religion sont très intrusives, surtout pour des gens qui viennent des pays de l’Est où les systèmes communiste et socialiste ont imposé le silence sur ce thème pendant longtemps. Nous avons pu avoir connaissance de leurs appartenances religieuses au cours de situations informelles, dans notre contact quotidien. La religiosité reste un sujet tabou chez les D.A. car ils ont peur d’être jugés dans leurs croyances et ils la cachent stratégiquement pour mieux s’adapter à la société laïque française. Chez les réfugiés la situation change, ils sont plus libres de parler, de pratiquer leurs confessions religieuses et d’exposer leurs opinions.

Nous avons conduit des entretiens avec les participants du groupe qui ont voulu répondre à des questions semi-ouvertes sur le sujet de l’étude et aussi avec d’autres réfugiés. Les entretiens dans le contexte phénoménologique nous donne la possibilité de comprendre les expériences vécues et nous permet aussi un contact plus individuel et subjectif avec les sujets de la recherche.

Dans le contexte phénoménologique, la liberté du sujet de choisir ce qu’il dit de la manière qu’il veut nous rassure quant à l’espace que nous devons respecter entre notre désir de recherche et la considération de l’autre. Il considère que le choix des éléments importants à raconter suppose déjà la communication d’une organisation psychoaffective importante et que pour l’élucider il faut suivre, avec rigueur, des étapes méthodologiques qui nous aideront à appréhender le phénomène tel qu’il était perçu ("réduction phénoménologique"). Van der Leeuw (1970) nous propose six étapes pour obtenir des résultats d’analyse du matériel empirique et pour systématiser le travail de recherche:

1) Chercher et comprendre les connections de sens, la structure retrouvée dans les expériences vécues par les sujets;

2) Apprendre l’essence des expériences vécues, en faisant un compromis entre l’humanité du sujet et l’éthique;

3)Elucider les éléments en les regroupant avec leurs ressemblances et leurs différences (Catégorisation);

4) Comprendre le sens donné aux éléments des expériences en considérant le contexte même où ils ont été produits;

5) Comprendre l’unité significative de l’expérience dans un processus de reconstruction qui se fait quand le chercheur réfléchit sur le sens donné aux expériences vécues par le sujet et non par ses interrogations personnelles;

6) Apprendre et comprendre la représentation que le sujet se fait du nouveau groupe qu’il va intégrer et du statut qu’il aura dans ce groupe, en observant ses interprétations sans les confondre avec celles du chercheur.

Résultats et discussion

Les ateliers se sont déroulés d’une manière très satisfaisante. Dans une perspective clinique, le groupe semblait passer par une crise existentielle; plus précisément, par une angoisse face à l’impuissance vis-à-vis de leurs attentes. Ce fait s’est aggravé avec le manque de nouvelles de l'un des membres. Des questions du type: "Si on disparaît … est-ce que quelqu’un va me chercher?", se sont posées à nous avec un fort ressenti affectif et une peur de l’abandon. D’une part, de notre côté, nous éprouvons la frustration de ne pas pouvoir les soulager devant ce problème car nous savons que leurs soucis sont légitimes. D’une autre part, nous constatons l’évolution du groupe, le commencement d’une ambiance de complicité et la constitution d’un lieu de parole et d’écoute.

Les entretiens ont été faits avec douze réfugiés et analysés selon la technique de la version de sens, décrite par Amatuzzi (2001). La méthode d’enregistrement scientifique traditionnelle ou l’enregistrement en cassette constitue une menace aux D.A. car ils ont peur de ce que nous pouvons faire des informations données. La méfiance et la sensation que leur parole est mise en doute et jugée constamment, nous obligent à employer de nouveaux instruments de travail. La technique de la version de sens consiste à prendre en note l’ensemble de nos souvenirs, immédiatement après l’entretien ; et à faire la description de nos émotions ressenties pendant le contact avec la personne interviewée. La version de sens est un exercice phénoménologique qui prend en compte l’interaction du chercheur avec la population étudiée et qui la considère importante dans la compréhension des dynamismes d’action.

Nous allons présenter, par la suite, quatre des douze personnes interviewées (en préservant leur anonymat) pour mieux comprendre le chemin méthodologique et pour faciliter la discussion des contenus théoriques présentés précédemment.

Mlle Lorraine a 23 ans, rwandaise, a eu son statut de réfugiée en 2001. Dans son histoire, elle met en évidence plusieurs composants de résilience: l’amitié, la foi et l’envie de réussir sont ses trois éléments privilégiés pour nous faire part de la dynamique utilisée dans son processus d’intégration dans une nouvelle culture.

Mme Ardèche, son mari et ses enfants sont réfugiés depuis 2001. Ils sont partis de l’Iran, sont passés par divers pays, et après vingt et un jours de marche, ils sont arrivés en France. Pendant tout l’entretien, Mme Ardèche a remercié Dieu de les avoir aidés. C’est clair que le fait de croire en Dieu est un élément soulageant de ses souffrances (angoisses); le moteur de sa force n’en reste pas moins sa famille.

Mme Nice est congolaise et elle est en France depuis 5ans. Elle a 28 ans et deux filles. Elle nous a raconté son arrivée en France et comment ses amis l’ont l’aidée lorsqu’elle n’avait pas de travail. Chez Mme Nice, la foi est vraiment un élément qui la soutient et ses enfants sont la force lui permettant de continuer son chemin jusqu’au but.

Mme Marseille, son mari et ses enfants sont en France depuis 2001, ils sont venus du Kazakhstan et ils ont tous eu leurs papiers en 2003. C’est une femme très intelligente et d’un bon niveau d’étude. Elle refuse catégoriquement de répondre à des questions sur la religion mais elle nous donne d’autres composants de la résilience:

1.            "la littérature c’est le manuel de la vie, l’objet c’est la personne… il y a quelque chose qui ne change pas… pourquoi on lit toujours Shakespeare, Tolstoï? Car il y a quelque chose qui ne change pas".

2.            "J’ai perdu la culture slave comme j’ai perdu la culture chinoise. C’est très grave car perdre la culture une deuxième fois à mon âge, c’est très grave…  Quand tu oublies la langue ce n’est pas bien car la langue c’est le morceau de culture. La langue c’est le résultat de la compréhension de la culture".

3.            "Les arts c’est quelque chose qui peut faire continuer à vivre… quand on joue on oublie la situation qui est triste, la vie petit à petit continue – c’est bien pour montrer la culture… L’activité c’est toujours une route pour continuer la vie".

Comme nous pouvons le remarquer, ce que nous appelons le sens du religieux n’apparaît pas explicitement comme un élément de résilience chez Mme Marseille. Son histoire ne nous permet pas d’affirmer quelle place les questions liées au transcendantal occupent dans ses dynamiques existentielles. Cependant, nous pouvons observer que différents éléments occupent le rôle de facilitador de la résilience, par exemple : la littérature, les arts, la culture, la langue, la solidarité, etc. Cette dame est une intellectuelle, ce qui explique en partie, l’utilisation d’autres points d’appui dans son parcours d’exil. Au contraire des trois autres personnes interviewées qui n’ont pas eu l’opportunité d’élaborer d’autres stratégies de soulagement de la souffrance vécue pendant l’attente; Mme Marseille a trouvé des éléments plus sophistiqués et moins passibles de rupture. Les éléments d’encouragement à vivre cités par celle-ci, sont aussi résistants que ceux liés à la croyance. Ils sont intouchables par l’action humaine et ils ne se perdent pas dans le temps comme l’amitié et l’argent. Mme Marseille est sortie de l’univers concret, rationnel et immédiat, pour aller dans une autre dimension de l’existence humaine, plus sereine et plus philosophique.

Au travers des récits obtenus par les entretiens, nous avons trouvé différents composants de résilience que nous avons catégorisés en trois groupes: les besoins immédiats, le compromis avec l’autre et les éléments transcendantaux ou non matériels. Le sens "du religieux" n’apparaît pas, dans les manifestations collectives, comme étant une composante privilégiée du processus de résilience mais il transite entre plusieurs d’entre elles.

Dans le groupe des besoins immédiats, nous trouvons un mouvement qui vise à répondre à une nécessité à l’instant même où elle se présente. Cette première manifestation d’une force d’encouragement qui envoie le sujet vers un objectif peut être observé dans les dires des réfugiés quand ils racontent comment ils ont réussi à sortir de leurs pays. Les éléments de résilience sont observés dans une situation d’urgence, au moment où le danger apparaît.

La sortie du pays d’origine témoigne déjà d’une force qui oriente le sujet dans une direction. Nous avons pu repérer quatre éléments importants de résilience au niveau des réponses immédiates: 1) l’envie de réussir, 2) l’espoir d’un nouvel avenir, 3) le compromis et 4) la protection des êtres chers et de la famille:

  1. l’envie de réussir dans les paroles d’une dame rwandaise de 23 ans : "Je travaille dur, je fais du ménage, du repassage et tout ce qui peut m’aider à améliorer mon niveau de vie. Je suis ambitieuse, je veux toujours plus. Je travaille samedi, dimanche… je ne me plains pas. Je voudrais continuer l’école et je la continuerai. Je pense à l’avenir, continuer mes études, avoir une bonne profession… Je veux plus pour ma vie, toujours plus et je vais y arriver…"
  2. l’espoir d’un nouvel avenir : "Je suis footballeur et c’est ma passion. Mon grand désir, pendant tout l’exil, c’était de continuer le football."  (garçon de 18 ans, nigérien)
  3. le compromis et la protection des êtres chers : "J’ai pensé à mes filles. Je veux un avenir pour elles. Je ne pouvais pas les laisser tomber car je suis responsable de leurs vies… Je n’ai personne pour m’aider et mes enfants… je veux qu’ils aient un avenir meilleur…Ici ils ont l’école… la vie est plus facile." (dame congolaise, 28 ans)
  4. la famille : "C’est ce qui a aidé, c’est la croyance en la famille… On était toujours ensemble… on savait qu’on pourrait traverser n’importe quel obstacle si on le faisait ensemble. Et pour moi, la simple idée de donner un avenir moins traumatisant à mes enfants me donnait la force de ne pas baisser les bras. (dame rwandaise, 29 ans).

Le compromis avec l’autre est un facteur qui déclenche des initiatives importantes pendant le parcours de l’exil. L’idée de pouvoir montrer au monde les tragédies qui se passent chez eux et l’ambition de devenir un porte parole de ceux qui n’ont pas eu la chance de fuir, constituent aussi, un fort élément de résilience : "Je dirai à mes enfants que la guerre est à éviter quelles que soient les motivations…" ou encore, "mon espoir est de voir mes enfants conscients de notre histoire… qu’ils puissent expliquer au monde entier la problématique de cette région d’Afrique" (Monsieur congolais).

Dans la catégorie des éléments transcendantaux ou non matériels qui contribuent à la résilience, nous avons pu observer quatre manifestations différentes: 1) les arts (littérature, théâtre, l’expression culturelle, etc.), 2) l’envie d’aider les autres, la pensée humanitaire, 3) la philosophie et l’idéologie et 4) la religion. Ces composants de résilience parlent d’une relation plus abstraite par rapport aux circonstances de leur vie ainsi qu’une capacité plus sophistiquée d’interpréter et de se représenter le monde. Ce sont des éléments résistants à la temporalité et moins influençables aux changements quotidiens que nous pouvons observer après la période de violence vécue par les réfugiés. Nous pouvons penser que ces facteurs ont besoin d’une ambiance reposante pour gagner de l’espace dans les comportements et réponses du sujet. La religion (ou le sens du religieux) fait partie de la catégorie des éléments transcendantaux qui facilitent la résilience mais transite dans les autres catégories. Plus qu’un élément déclenchant de cette force qui pousse au changement, elle est reconnue comme la deuxième voie d’appui ; celle qui soutient et qui calme les espoirs!

Voyons des exemples de ces composants non matériaux:

1.      les manifestations artistiques font plutôt partie du répertoire des personnes intellectualisées, comme nous pouvons bien le remarquer dans l’entretien avec Mme Marseille: "Les arts c’est quelque chose qui peut faire continuer à vivre… L’activité c’est toujours une route pour continuer la vie".

2.      la pensée humanitaire: "j’ai fait des papiers cadeaux pour Noël et j’ai travaillé deux mois pour les D.A.; je faisais la traduction pendant les réunions à l’église. J’ai travaillé au "Resto du Cœur" aussi… Je comprends la langue russe, l’ukrainien, le Kazakh, l’anglais ; comme ça je peux les aider. Nous avons toujours travaillé dans notre société communiste, c’est impossible de ne pas travailler. Nous avons toujours amélioré notre niveau, c’est la vie, toujours faire les choses pour le monde et pas pour sa poche" (Mme Marseille).

3.      la philosophie de vie et l’idéologie sont aussi observées chez Mme Marseille:
"Ma mère, en Chine, est un symbole comme Marie. Mon père fabriquait des chaussures et elle ne travaillait pas… Elle a toujours aidé tout le monde, elle aidait chaque personne qu’elle trouvait dans la rue… Mon père, aussi, a beaucoup aidé. Je voudrais pour mes fils la même vie… n’importe où, on peut toujours aider".
 
4.      la religion, la prière et la foi représentent un autre vecteur de résilience durant l’exil: "Dieu nous a regardé… On était 40 familles et il y en a encore qui n’ont pas réussi à avoir leurs papiers… Je crois en Dieu parce que j’ai toujours cru. Je prie et Il m’aide". (Mme Ardèche, iranienne)
"Moi je prie. En Afrique on a l’habitude de prier pour demander des choses. On prie toujours!" (Mlle. Lorraine, rwandaise).
"Je crois en Dieu. J’ai appris la culture religieuse aux Etats-Unis. Mes parents n’ont pas de culture ou de convictions religieuses parce qu’en Albanie, c’était le communisme. La prière m’a aidé à vivre toute cette situation" (garçon de 25 ans).

Dans ce moment transitionnel, où le sujet essaie de s’intégrer dans la société d’accueil, nous pouvons trouver d’autres facteurs qui facilitent le processus de résilience. L’amitié et la solidarité sont relatées comme les éléments les plus importants en cette période de construction identitaire:

J’étais dans la rue… c’était au mois de décembre… j’avais tellement froid que je ne pouvais pas parler… Une dame est passée et a eu de la pitié… Elle a enlevé sa jolie veste verte et me la donnée. Je n’ai pu rien dire… Je pleurais et j’ai compris qu’il me restait de l’espoir… (Dame du Kazakhstan).

Conclusion

Au travers de cette étude, nous pouvons constater que le religieux traverse bon nombre des travaux subjectifs du sujet en leur permettant une identification sociale. Les composants non matériaux, dans lesquels nous situons le sens du religieux, nous parlent d’un processus humain qui consiste en la recherche de significations indispensables à l’existence. Ils nous permettent de donner continuité à notre histoire en la reliant à celles de nos ancêtres. La qualité a-temporelle de ces éléments aide à la restructuration de l’univers chaotique des personnes en exil.

La reconnaissance de la différence dans sa richesse exige une conscientisation et une reconnaissance de l’importance de tous les éléments qui nous permettent de donner sens à la vie. Chez les demandeurs d’asile et réfugiés, que nous avons rencontrés, ce que nous appelons sens du religieux (cette nécessité d’appartenir et de se relier) n’est pas toujours associée aux contenus définis par le consensus de religieux mais elle est présente dans les éléments qui parlent d’un transcendantalisme. La littérature, la poésie, la nature, la philosophie possèdent un dynamisme similaire à celui de la religion ; des éléments qui ne sont pas destructibles par l’action humaine. Ces éléments transcendantaux aident à la restauration de la solidarité et réduit le sentiment de solitude du parcours d’immigration.

L’étude des facteurs qui permettent ou facilitent la résilience nous donne la possibilité de comprendre la contribution des immigrants dans la société qui les accueille. Les réfugiés ont une ouverture sur le monde qui peut nous apprendre à mieux vivre. Leur modèle de persévérance et leur envie de réussir peuvent amener la société à des transformations sociales nécessaires à l’avenir. Il reste beaucoup de choses à faire pour la conscientisation des richesses que nous trouvons dans les échanges culturels. Nous avons essayé, par la médiation de cette étude, de faire un petit pas en direction à la reconnaissance des différences culturelles et de leur importance pour le progrès social.

Bibliographie

Amatuzzi, M.M. (2001). Por uma psicologia humana. Campinas: Ed. Alinea.
 
Cyrulnik, B. (2003). Le murmure des fantômes. Paris: Édition Odile Jacob.
 
Larrosa, J. (2002). Pedagogia profana: danças, piruetas e mascaradas. Porto Alegre: Contra–Bando.
 
Rey-Von Allmen, M. (Org.). (1993). Psychologie clinique et interrogations culturelles. Paris: L’Harmattan.
 
Van der Leeuw, G. (1970). La religion: dans son essence et ses manifestations phénomélogie de la religion. (J. Marty, Trad.). Paris: Payot. (Original publié en 1933).
 
Vatz Laaroussi, M. & Rachédi, L. (2004). La résilience comme contribution sociale pour les jeunes et familles réfugiés. Thèmes Canadiens, Avril, 48-52.
 

Notes sur l’auteur

 

Cláudia Clarindo Oliveira est psychologue par l’Université Fédérale de Minas Gerais - Belo Horizonte / Brésil, maître en Psychologie Interculturelle par l’Université Lumière Lyon II – Lyon / France, et étudiante du deuxième année du master (Spécialité: Psychologie Sociale) à l’Université René Descartes, Paris V – Paris / France. E-mail: claudiaclarindo@yahoo.fr

 

Data de recebimento: 16/12/2005
Data de aceite: 38/04/2006

 

Memorandum 10, abr/2006
Belo Horizonte: UFMG; Ribeirão Preto: USP
ISSN 1676-1669
http://www.fafich.ufmg.br/~memorandum/a10/clarindo01.htm

 

 

 

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