Entre projet propédeutique,
expérience et méthode
Les Avvertimenti a chi desidera impiegarsi nelle
missioni constituent la principale et la plus notoire contribution
méthodologique sur la pratique de la mission intérieure, entre XVIIe et
XVIIIe siècle, que
les jésuites de la Province de Rome nous aient offert (1). Ces religieux
représentent la tête de pont des bataillons — des capucins aux lazaristes,
aux passionistes — qui, à partir du milieu du XVIe siècle,
se sont consacrés à un tel ministère.
Écrits par Antonio Baldinucci, missionnaire en
Italie centrale, né à Florence en 1665 et mort à Sezze, dans le Latium, en
1717, béatifié en 1893, les Avvertimenti, entièrement autographes,
non datés, sont postérieurs à 1705 (d’après une indication contenue dans
le manuscrit: Avv., f. 59r). Le document, inédit, est conservé à l’Archivum
Romanum Societatis Iesu (2).
Nonobstant l’abondance des indications sur la
méthode fournie par les sources missionnaires de la Compagnie de Jésus,
dans l’état actuel de la recherche les Avvertimenti de Baldinucci
constituent, pour le milieu italien, l’unique texte autonome composé par
un missionnaire dans un but non pas d’édification, de propagande ou d’information,
mais de pure instruction (3).
Les informations et les réflexions sur la méthode
commencent à apparaître systématiquement à partir de 1605 environ; et
certes, dans la variété des sujets qu’ils brassent, les rapports et
lettres manuscrites, les directives officielles, les éditions de Vies,
de comptes-rendus et de mémoires missionnaires, les recueils de ménologes,
fourmillent, et parfois même en proportion importante, d’observations sur
la manière de faire la mission, sur l’ordre adopté, sur les critères du
travail. Ces sources constituent ainsi un important système de
transmission écrite de savoirs et d’expériences, qui n’auraient autrement
été conservés que dans la pratique (Majorana, 2002). (4)
Aucune de ces sources ne ressemble toutefois aux
Avvertiment, avec leur projet propédeutique explicite, leur
organisation schématique plutôt que narrative du texte, leur objectif de
réorganiser l’expérience directe et les différentes expériences offertes à
la comparaison. Le document constitue aussi une exception pour la clarté
du processus de rationalisation des informations – rendue évidente à
travers la disposition des matières en quinze chapitres accompagnés chacun
d’un titre, et ensuite divisés en autant de points – , pour le détail des
données rapportées et la profondeur de l’examen technique, pour la
capacité, enfin, de maintenir avec constance l’unité du raisonnement, par
des renvois internes entre les différentes parties de la compilation, qui
conserve cependant une remarquable dimension analytique.
En
outre les Avvertimenti échappent à l’inévitable restitution
apologétique et suggestive, caractéristique d’une littérature missionnaire,
destinée à conquérir l’imagination et la conscience des lecteurs, et à
nourrir les vocations. Au contraire, dans un certain sens, il s’agit d’un
témoignage presque dissuasif, tant la considération dans laquelle l’auteur
tient son propre ministère est élevée, et exclusif le patrimoine de
compétences spécialisées qu’il indique pour caractériser l’œuvre des
missionnaires.
Dans le chapitre I des Avvertimenti,
Baldinucci adresse à ses coreligionnaires une série de réflexions
préliminaires, qui fournissent, tout à la fois, les critères d’élaboration
des arguments traités et les avertissements pour un bon usage de son
précis. Toutes choses qui présupposent “l’expérience de pères et encore de
pères, qui, pendant de nombreuses années [...] ont employé leur vie avec
profit” dans les missions; la multiplicité des “manières [...] de faire
les missions”; la nécessité que chacun tire d’une telle multiplicité la
manière “qu’il jugera la plus opportune et profitable par rapport à son
habileté et à sa vocation”; et, pour finir, l’utilité générale de ces avis,
“quel que soit le style particulier que [l’on] voudra adopter en mission”
(Avv., chap.
I, § 3, ff.
7r-v; ici et après, la traduction est la mienne).
A ces
quatre critères correspondent autant d’indications pour les lecteurs: l’importance
à assigner à l’expérience directe; la prise en compte de la dimension
chronologique de la tradition jésuite et l’existence d’une variété de
méthodes élaborées par les pères avec le temps; l’opportunité de suivre
certaines règles, valables pour tous, issues, précisément, du patrimoine
des expériences.
La maturation d’un style personnel dans
l’humilité
Le passage est dominé par la notion de “style”, mieux
encore de “style particulier”, comme le souligne l’auteur, ce qui implique
la variabilité et la singularité du mode d’expression, proportionnelles à
la “force” et au talent de chacun (Avv., chap. I, § 3, ff. 7r-v):
la mission populaire des jésuites ne constitue pas la perpétuation d’un
modèle prédéterminé, elle est, au contraire, le fruit d’un rapport
dialectique constant entre héritages stylistiques des missionnaires
antérieurs et nouveaux ouvriers, ce qui est générateur de variété
croissante.
En suivant donc Baldinucci, et d’après
ce qui ressort des sources missionnaires, épistolaires ou informatives,
contenues dans la série chronologique des Historiae des différentes
Provinces (celle de Rome, dans le cas qu nous occupe ici), ou des sources
imprimées contemporaines, ce n’est pas l’homogénéité, mais la variété des
expériences qu’il faut considérer comme le présupposé nécessaire à la
compréhension du phénomène de la mission intérieure jésuite dans la longue
durée.
Pour désigner la manière individuelle de faire face
à la mission, Baldinucci adopte le terme de “style”, en liaison avec l’idée
d’“art”, évoqué dans le paragraphe précédent à propos de l’éloquence (5),
où il précise les compétences requises pour s’engager dans la prédication
rurale.
Il
est pourtant vrai que le discrédit des missions provient souvent des
manques de ceux qui emploient, et aussi de ceux qui sont employés pour un
ministère si ardu. Simplement parce que les missions ne requièrent pas un
style de prédication élevé et alambiqué, certains considèrent que
n’importe quel médiocre talent est suffisant pour elles: on envoie donc
parfois ceux que l’on estime inutiles et peut-être même nocifs dans les
résidences. Puisque, lors des premières sorties faites par obéissance, le
Seigneur, de manière admirable, concourt souvent par sa grâce à animer ses
serviteurs à faire le travail dans sa vigne, ceux-ci, attribuant le grand
fruit issu de leurs efforts à leurs propres talents, se pavanent et se
fient à eux-mêmes; ils pensent être déjà devenus des maîtres dans cet art,
et hardiment, sans aucun conseil, et, ce qui importe le plus, sans esprit,
s’y emploient. D’où il n’y a pas à s’émerveiller qu’ils tombent ensuite
dans de graves erreurs, pour le plus grand discrédit de ce saint ministère.
(Avv., chap. I, § 2, ff. 6v-7r;)
Baldinucci, donc, considère le manque d’humilité et
de zèle nécessaires à la réalisation de l’objectif comme l’erreur la plus
fréquente des missionnaires, qui les expose à des attaques justifiées,
aussi à cause de la responsabilité des supérieurs dans leur sélection des
sujets. De ces arguments (que Baldinucci reprend dans Avv., chap.
II, §§ 4-5, ff. 9v-10v; voir aussi Avv., chap. III, §§ 3-8, ff.
14v-16v) dérive la définition d’un art propre des missionnaires populaires,
dont les caractères sont totalement spécifiques et exigent un
apprentissage et un entraînement humbles et prudents, ainsi que l’acquisition
d’habilités techniques vastes et particulières. C’est en conséquence un
ministère qui requiert des “qualités spéciales” comme Baldinucci l’affirme
dans le titre du chapitre II (Avv., f. 8r; Majorana, 1999).
La
référence à la force de la vocation, aux tendances personnelles, à la
maturation des capacités et des compétences dans l’évaluation de la
situation propre à chacun des lieux dans lesquels on se rend, constitue le
présupposé de l’ensemble de la réflexion de Baldinucci sur le style, le
terme dialectique individuel face aux règles, à la tradition et à la série
des expériences antérieures (6).
Sous cet angle, apparaît clairement l’intérêt d’une
approche de la mission jésuite qui ne sépare pas la personnalité des
missionnaires de leur ministère et qui tient compte de la fonction
magistrale que certains d’entre eux ont pu jouer, et tout particulièrement
de ceux qui se sont longuement dédiés à la mission rurale et lui ont
imprimé une marque forte et plus durable, comme le souligne Baldinucci
jusque dans le titre intérieur des Avvertimenti: “Avertissements
très utiles pour ceux qui désirent s’engager dans les missions, fondés sur
l’expérience de ceux qui les ont faites pendant de nombreuses années” (Avv.,
f. 3r).
Les individus et le capital d’expériences
constituent la chaîne et la trame de l’œuvre missionnaire jésuite.
Postulat qui suggère d’autre part, du fait de la variété, à quel point il
est impossible de considérer aucun des styles — et donc des missionnaires
— , comme totalement représentatif de l’ensemble de la tradition. Ceci est
tellement vrai que, dans la rédaction d’un document propédeutique tel que
les Avvertimenti, l’auteur concentre tout son effort sur la
nécessité de fournir des exemples et des réflexions critiques sur la
multiplicité des modèles accumulés, sans les ramener à une unité abstraite.
Le texte de Baldinucci, en tant qu’il récapitule des expériences
différentes en les confrontant, se révèle spéculaire par rapport aux
présupposés: les individus sont les moteurs de la tradition missionnaire
et la variété de celle-ci est à la mesure de la variété des missionnaires.
Seul un cinquième de l’ensemble du texte aborde des questions générales:
“Certaines raisons pour lesquelles les saintes missions jouissent d’un
faible crédit auprès de certains” (Avv., chap. I, ff. 3r-7v);
“Talents spéciaux requis pour ceux qui veulent s’exercer avec fruit dans
les missions” (Avv., chap. II, ff. 8r-12v); “Avertissements sur la
manière dont le missionnaire doit se comporter avec ses prochains” (Avv.,
chap.
III, ff. 13r-16v). Baldinucci établit en outre la liste des
difficultés que les missionnaires peuvent croiser du fait d’attitudes
d’obstruction (Avv., chap.
I, §§ 2-3, ff. 3r-6v) ou
d’empêchements objectifs (Avv., chap. IV, § 1, f. 17r-v).
Les plus de cinquante pages restantes sont
entièrement consacrées aux divers styles d’apostolat, douze chapitres dans
lesquels l’auteur développe les différents aspects de la mission, les
sujets qui la réalisent et ceux qui y participent: “Avertissements
généraux sur le bon ordre des missions” (Avv., chap.
IV, ff.
17r-24r); “Avertissements sur les prêches et instructions que l’on fait en
mission” (Avv., chap. V, ff. 25r-28r); “Avertissements sur la
confession pendant la durée de la mission” (Avv., chap. VI, ff.
29r-31r); “Avertissements sur la culture des enfants pendant la durée de
la mission” (Avv., chap.
VII, ff. 32r-34r);
“Avertissements sur la culture spéciale des clercs et des moniales pendant
la durée de la mission” (Avv., chap. VIII, ff. 35r-37v);
“Avertissements sur les différentes processions qui se font de jour et de
nuit pendant les missions” (Avv., chap. IX, ff. 38r-46v);
“Avertissements sur les disciplines et autres pénitences qui sont faites
par le père missionnaire et le peuple missionné” (Avv., chap. X, ff.
47r-49v); “Avertissements sur les paix qui se font pendant les missions” (Avv.,
chap. XI, ff. 50r-53r); “Avertissements sur les communions particulières
et générales qui se font pendant les missions” (Avv., chap.
XII,
ff. 54r-55v); “Avertissements sur la bénédiction papale” (Avv.,
chap. XIII, ff. 56r-58r); “Dévotions spéciales et autres bons usages qui
sont laissés pour conserver le fruit des missions” (Avv., chap.
XIV, ff.
59r-61v); “Diverses façons de faire les missions” (Avv., chap. XV,
ff. 62r-66r).
Il
serait cependant faux de croire que les Avvertimenti constituent
une revue de toutes les expériences possibles, prétendant à l’exhaustivité.
Baldinucci choisit et néglige, certes intentionnellement
(7), et rend compte, entre autres, de quatre styles, profondément
proches et pourtant pourvus d’innombrables variantes, en les distinguant à
l’intérieur des sujets entre lesquels se divise le texte. Chacun des
styles analysés est mis en relation avec les procédés d’un missionnaire
particulier, mais l’auteur ne mentionne explicitement que Paolo Segneri l’Aîné
(Avv., chap. IX, § 9, ff. 41v-42r e § 13, f. 44r-v; chap. XV, § 7,
f. 64v). Toutefois, l’un des autres missionnaires non nommés, auquel
renvoie un style donné, peut être identifié comme étant Baldinucci
lui-même, grâce à la confrontation avec les sources directes qui en
illustrent l’activité (Majorana, 1996, pp. 145-148). L’un de ces quatre
styles, en outre — pour lequel Baldinucci déclare n’avoir pas de
préférence (Avv., chap. XIII, § 2, f. 57r) — , est caractérisé par
une orientation qui permet de le distinguer sensiblement des autres,
notamment à cause du recours à des manifestations de jubilation, et une
limitation corollaire des éléments pénitentiels.
L’indication
d’un style avec des caractères qui le distinguent des autres pris en
exemple vient confirmer ce qui est spécifié dans les préliminaires: ils
sont
dans une grande erreur ceux qui, ayant adopté une
manière de faire mission, qui leur est très profitable, réprouvent
toutes les autres manières qui peuvent valoir pour d’autres, et ne
comprennent pas que le Seigneur, qui veut sauver les âmes de
différentes manières, rend tel mode efficace pour tels
missionnaires, tel autre pour d’autres, bien qu’ils
diffèrent entre eux
car (on peut le lire dans les lignes qui
précèdent), “il veut nous faire clairement connaître que c’est lui qui
fait, et non pas nous”. Mais
sont également dans l’erreur ceux qui
pensent que c’est à Dieu de nous mettre chaque mot dans la bouche et de
régler chacune de nos actions, de sorte qu’il n’est besoin ni de
beaucoup d’études, ni de beaucoup d’application pour être
habilité à exercer cet emploi. (Avv., chap. II, § 4, f. 9v; ici et
après c’est moi qui souligne)
Ici Baldinucci confère à la notion
longuement développée de la variété des styles une signification
théologique. Pris en charge par un missionnaire, un certain mode peut
s’avérer fructueux, mais au contraire inadapté pour un autre; de même que
la personnalité d’un missionnaire peut renforcer le poids d’un style, ou
alors en réduire l’efficacité, en particulier s’il ne s’appuie pas sur une
compétence humble: puisque les missionnaires ne sont que l’intermédiaire
de la volonté insondable de Dieu.
Cette réflexion précise semble aussi se référer
implicitement aux attaques qui portent sur le caractère pénitentiel
manifeste et sur la dimension spectaculaire du style des missionnaires
jésuites. A ce propos, Baldinucci écrit:
Pour en venir à présent aux processions qui se font
de nuit, il convient de savoir en premier lieu ce qu’en écrit à un père
qui les entendait blâmées par certains, le père Pietro Pinamonti, homme de
rare vertu et prudence et d’une grande expérience dans les missions, qu’il
a faites pendant de très nombreuses années avec le père Paolo Segneri,
avec le très grand fruit que nous connaissons tous. (Avv., chap.
IX, § 9, f. 41v)
Giovan Pietro Pinamonti (1632-1703) fut le plus
étroit collaborateur de Segneri jusqu’en 1692, date à laquelle ce dernier
dut abandonner les missions populaires pour prendre la charge de
prédicateur apostolique. Baldinucci continue:
Ce
que je dis, lui l’écrit dans ces termes précis:
Les processions du soir sont l’âme de nos missions et il n’est pas de
notre devoir de les abandonner sauf si nous y sommes contraints par l’obéissance.
Il est bien vrai que le père Segneri refusait autant qu’il le pouvait ces
missions qu’il n’aurait pas eu la liberté de faire dans leur forme
habituelle. Certains en disent du mal, mais il ne s’agit jamais d’hommes
qui les ont vues; et les évêques, quand ils y assistent en personne, non
seulement ne les interdisent pas, mais les louent même grandement.
Il faut cependant veiller à les faire avec toutes les
précautions possibles.
(Avv.,
chap. IX, § 9, ff. 41v-42r; c’est l’auteur qui souligne)
À l’époque
de la rédaction des Avvertimenti, le débat est rien moins que
nouveau, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Compagnie, et de
nombreuses critiques sont adressées au système missionnaire jésuite,
précisément à cause du développement d’actions perçues comme des artifices,
ou, pire, des tromperies, armes périlleuses de séduction et de confusion
des consciences, habilement mises en œuvre en vue de la conquête des
simples (8).
En
fait, les soixante dernières années du XVIIe siècle
ont vu s’affirmer des congrégations de prêtres (comme les lazaristes
français par exemple ou les pii operai italiens), qui ont développé
leur activité jusque dans les zones correspondant à la Province de Rome de
la Compagnie, qu’il convient, sans aucun doute, de considérer comme des
concurrents directs des jésuites: tout en s’inscrivant dans une même
perspective évangélique, qui réunit dans une proximité d’objectifs les
différents représentants de l’apostolat missionnaire (instruction
religieuse, sacrements de la confession et de la communion, correction des
comportements, formation du clergé), ces derniers empruntent en fait des
critères et des méthodes de travail différents de ceux qui ont été
élaborés dans le cadre de la tradition jésuite. En effet, la question du
style peut aussi être appréhendée comme un facteur de compétition entre
les missionnaires: aux procédés des jésuites, qui entendent faire
ressortir avec force la relation entre intérieur et extérieur, on oppose
des choix au sein desquels la prédication, tout en étant destinée à
provoquer un vif sentiment de culpabilité, ne fait aucun usage — au
contraire elle les repousse vivement — , des disciplines corporelles,
exhibées à travers une vaste orchestration de la pénitence visible, ni n’inclut
aucune manifestation des affects, susceptible de favoriser le
spectaculaire (Mezzadri et
Román, 1992, pp. 234, 237, 535-536; Bollati,
1995, pp. 80-84; Vizzari, 1994, pp. 271-274, 281-282, 285-286).
Malgré ces oppositions, les missionnaires jésuites
ne renient pas un style dont il faut chercher les origines dans la
déclinaison de la pauvreté comme visibilité puissante, solution pastorale
qui est, dans le même temps, la racine de leur vocation (9).
La pauvreté pénitente comme
dispositif de la visibilité
Le
chapitre III des Avvertimenti s’ouvre sur ces mots:
Parce que, l’exemplarité de la vie plus
que n’importe lequel des prêches les plus fervents, aide à ramener les
hommes dévoyés sur le chemin du salut, c’est à celle-ci que le
missionnaire, qui désire ardemment récolter des fruits en abondance auprès
de ses prochains, doit porter la plus haute attention. (Avv., chap.
III, § 1, f. 13)
Baldinucci fait implicitement référence à la
septième partie des Constitutions jésuites, où il est écrit que,
pour aider les âmes,
Ce qui
se présente en premier est le bon exemple d’une parfaite dignité et vertu
chrétienne, en tâchant d’édifier ceux avec lesquels on est en relation,
non pas moins, mais même davantage par les bonnes oeuvres que par les
paroles. (Constitutions, 1991, p. 555, VII, 4, 637)
Il
s’agit d’un principe fondamental de la culture jésuite missionnaire (Majorana,
2001a), qui est repris aussi dans les Regulae concionatorum (Institutum,
1893, p. 17, § 3). Cependant, Bladinucci ajoute que le missionnaire
ne
doit pas se contenter d’une simple apparence d’austérité, en allant
déchaussé et en se flagellant souvent sous le regard du peuple, parce que
celles-ci et d’autres austérités comparables, aident peu celui qui les
regarde, si elles ne s’accompagnent pas de ces vertus qui
doivent resplendir dans un ministre évangélique. (Avv., chap.
III, § 1, f. 13r)
Cette dernière affirmation fait évidemment allusion
à sa signification contraire: à la possibilité que, pour ceux qui les
voient, de telles manifestations, si elle sont soutenues par la recherche
sincère de la perfection chrétienne, soient d’un grand secours. La
conviction de Baldinucci se fonde sur la tradition jésuite la plus
ancienne, celle selon laquelle ce qui est visible peut être entendu sans
difficulté par le pauvre et l’illettré, peut parler à son cœur, en renfort
au ministère de la Parole (10). Aussi, tout ce qui, dans la personne ou la
conduite du missionnaire, retombe dans la sphère du sensible (et tout
particulièrement les pénitences du corps, conçues comme les manifestations
les plus significatives et les plus efficaces de la pauvreté évangélique:
le voyage à pied, le vêtement râpé, les restrictions alimentaires, le
sommeil rigoureux et bref, l’inépuisable activité) acquiert un pouvoir de
persuasion supérieur à celui de la seule parole prêchée et est exemplaire
en outre (11).
La
visibilité prend rapidement, dans la conception des missionnaires jésuites,
une importance centrale, comme on le voit à travers les lettres et
comptes-rendus dès origines de l’activité rurale jusqu’à l’époque de
Baldinucci; et, même si les sources ne fournissent que très peu d’éléments
sur ce point, il faut certainement voir, derrière ce choix, un problème de
communication strictement lié à la question de la compréhension
linguistique, dans une Italie rurale dominée par la diversité des
dialectes (Majorana, 2002; Majorana, 2001a).
Dans le même temps, la conduite pénitentielle,
étroitement reliée aux modes de la prédication, devient un objet d’expérimentations
continuelles sur le style et aboutit à un résultat exceptionnel en termes
d’efficacité de persuasion et de componction, à travers la discipline
jusqu’au sang que le missionnaire s’inflige au cours du prêche, avec des
fouets de fer et de cuir, en portant un pauvre habit ouvert sur les
épaules, la corde passée autour du coup, de la poitrine et de la taille,
et la couronne d’épines enfoncée sur la tête. Synthèse visuelle
particulièrement efficace entre pénitence, dévotion et offrande,
construite sur l’imitation des signes et des gestes de la Passion, au
point de devenir objet de méditation et de désir d’émulation, la
flagellation publique du prédicateur constitue l’une des réussites les
plus significatives des missionnaires jésuites, dans leur recherche du
rapport entre pauvreté et visibilité, la définition extrême de cette image
qu’ils doivent offrir d’eux-mêmes (pauvres comme les chrétiens auxquels
ils portent la Parole, et comme eux, dans le besoin de faire pénitence),
pour faire en sorte que “qui les regarde”, comme Baldinucci le souligne,
croie en la cohérence effective entre ce qui apparaît et la vertu qui
soutient le missionnaire (12). En fait, puisque celui-ci, poursuit l’auteur,
doit fuir toute feinte, et ne rien faire qui
apparaisse différent au dehors de ce qu’il est en réalité, il doit
s’ingénier à faire en sorte que chacune de ses actions soit pour
les autres une incitation à la vertu et une règle de bien vivre.
(Avv., chap. III, § 1, f. 13r)
Une
liste commentée des conduites vertueuses nécessaires au missionnaire suive
ces mots (Avv., chap. III, §§ 1-8, ff. 13r-16v). Toute action
publique, jusqu’à la plus réfléchie et la mieux mise en forme en vue d’objectifs
stratégiques (et c’est certainement le cas de la discipline du prédicateur),
dût-elle recourir alors à des moyens et à des expédients, mais toujours
avec le soutien de la science et de la prudence, vertus invoquées par
Baldinucci comme fondements des capacités du missionnaire (Avv.,
chap. II, §§ 4-5, ff. 9v-10v); et elle doit cependant correspondre aux
comportements et à la substance intérieure, sérieuse, consciente,
authentique, de celui qui la réalise.
La
pauvreté pénitente est donc l’image autour de laquelle, dans la conception
jésuite, s’ordonnent les processus visibles de la conversion.
Outre la pauvreté personnelle, en tant qu’expression
exemplaire et crédible de la recherche pénitentielle de perfection
chrétienne, un autre élément concourt à la définition du style
missionnaire des jésuites: l’obligation de ne pas peser économiquement sur
la communauté:
[Le missionnaire] doit faire attention, avec toute sa
diligence, à ce que les missions ne soient d’aucun coût ni d’aucune charge
pour les curés, les Compagnies et le peuple. Pour cela, qu’il ne réalise
pas des activités collectives qui engagent des dépenses, et qu’il ne
permette pas une grande consommation de cire, au contraire, qu’il se
suffise pour ses propres dépenses et même pour sa nourriture, en emmenant
avec lui tout ce dont il aurait besoin.
Parce
qu’un des obstacles majeurs aux missions est l’avarice ou la pauvreté des
curés, et en particulier quand ils sont conduits, de mauvaise volonté, à
faire quelques dépenses. Et tenir ce style n’est pas contraire à la
pauvreté évangélique, comme nous pouvons lire, à propos, de saint Paul,
qui affirme n’avoir jamais pesé sur quiconque dans ses missions; et comme
dans le collège apostolique lui-même il y avait ceux qui gardaient de l’argent
pour pourvoir au soutien de leur vie, autant qu’il fallait, sans
incommoder personne. Certains, pourtant, se contentent d’aller avec leur
seul bourdon, de vivre d’aumône et de se loger dans les hôpitaux. Aucun
des deux modes ne doit être condamné, il faut seulement suivre celui que
l’on jugera convenir le mieux à la gloire de Dieu et au salut des âmes. (Avv.,
chap. IV, § 25, f. 22v)
Les jésuites suspendent leur conduite à cette
condition, en restant fidèlement convaincus de l’efficacité de la
visibilité et tempèrent ces deux exigences en valorisant l’unique élément
irréductible de l’apostolat, à savoir les hommes, les personnes: c’est-à-dire
les missionnaires eux-mêmes et les pauvres auxquels est destinée l’oeuvre
d’apostolat.
La mise en spectacle de la
réciprocité entre intérieur et extérieur
Les missionnaires travaillent à la valorisation et à
la variation spectaculaire de ce qui constitue la seule et unique richesse
dont ils disposent en abondance, une richesse qu’il ne faut pas seulement
comprendre d’un point de vue pastoral, mais aussi au sens physique,
corporel. Les “apparats de mission”, comme on appelle alors les
initiatives collectives (l’expression est du jésuite Domenico Casoni: cité
par Orlandi, 1972, p. 168), ne se composent pas d’objets matériels, mais
de personnes savamment disposés, par les missionnaires, dans le paysage
naturel, l’habitat ou les bâtiments: une présence solennisée par les
lumières, les prières et les chants, par le caractère particulier des
vêtements et un ordre complexe de gestes et mouvements; les qualités
formelle auxquelles est rapporté le corps collectif du peuple deviennent
déterminantes pour l’affirmation du primat de la vue, en tant qu’auxiliaire
éminemment utile de la prédication (Majorana, 2002, pp. 315-317).
Pendant
le temps de la mission, l’expérience du peuple doit se fonder d’autre part
sur cette même réciprocité entre intérieur et extérieur, qui guide les
actions des missionnaires: les jésuites mettent en garde contre une
exigence de comportements pénitentiels, chez les fidèles, dès les tous
premiers jours de la mission, avant qu’ait mûri en eux, à travers les
prêches et les instructions, un sens aigu de la peine à expier pour les
offenses faites à Jésus, et de la responsabilité des péchés commis. C’est
seulement lorsqu’ils auront atteint un degré minimum d’instruction
religieuse et de componction, que les fidèles seront invités à manifester
leurs sentiments de culpabilité et leur volonté de conversion, sous la
forme d’actions qui impliquent un fort engagement affectif et corporel,
régies en un sens spectaculaire (13). Et, de même que le missionnaire dans
la discipline publique, les fidèles utilisent uniquement des vêtements et
des objets qui sont des instruments directs de leur pénitence et de leur
ferveur: on ne recourt ni à des décors ni à des costumes (et Baldinucci
recommande aux missionnaires d’interdire tout type d’action narrative qui
implique la simulation, comme les traditionnelles représentations des
mystères de la Passion: Avv., chap. IX, § 14, f. 44v; Avv.,
chap. X, § 6, f. 49r-v). Au travers des actions réalisées, on veut
faire pleinement apparaître le processus de conversion effectivement vécue
par les individus de la communauté, à ce moment et en ce lieu.
Ainsi donc, non seulement la pauvreté n’est pas
renoncement au spectaculaire, mais au contraire, au travers de la
pénitence, elle est précisément ce qui est mis en spectacle. Les pauvres
auxquels est destiné le travail apostolique, le peuple qui participe à la
mission se transforment en la vision d’eux-mêmes.
Et
c’est à ces aspects de la pratique missionnaire, qui coïncident avec ce
type de perspective, qu’est consacrée la majeure partie du texte des
Avvertimenti.
En fait,
Baldinucci réserve un faible espace aux observations autonomes sur les
prêches, les instructions pour les adultes, la doctrine chrétienne pour
les enfants, les confessions, les communions, la formation du clergé
local, les oeuvres charitables, la pacification des ennemis.
C’est-à-dire aux
parties fondamentales et irremplaçables de la mission, celles que l’on
pourrait qualifier de fixes et qui, depuis les origines de l’apostolat
rural, correspondent à l’exercice des ministères typiques de la Compagnie,
adaptés aux besoins des pauvres des campagnes, mais qui ne sont affectés
d’aucun caractère spectaculaire, ni ne renvoient nécessairement aux
qualités persuasives de la vision. C’est les cas des ministères des
missionnaires dont on parle dans les anciennes Regulae missionum (Regulae
eorum, qui in missionibus versantur), amplement reprises dans l’Instructio
XII. Pro iis, qui ad missiones fructificandi causa proficiscuntur, du
général Claudio Acquaviva, remontant aux années 1593-1594 (Institutum,
respectivement pp. 19-22 et 365-368).
Baldinucci réserve au contraire, les développements
de loin les plus longs, aux funzioni (comme on nomme, dans les
usages italiens des XVIIe et
XVIIIe siècles, les
situations publiques et collectives de la mission, en recourant à un terme
commun dans le registre liturgico-dévotionnel), dans lesquelles, par
opposition, de telles valeurs convergent. Dans les sources de la province
de Rome, le terme funzioni, utilisé pour désigner les parties du
système missionnaire, remplace celui, originel de ‘ministères’ dans les
années trente-quarante du XVIIe siècle
(Majorana, 2002, p. 308). Dans les funzioni, les parties fixes s’articulent
sur celles que l’on pourrait qualifier de parties mobiles (processions,
disciplines corporelles des fidèles et des missionnaires, dévotions,
manifestations de pardon et cérémonies diverses, comme les entrées
solennelles des missionnaires; ou le bûcher pour instruments du péché:
respectivement Avv., chap. XV, § 1, f. 62r-v, § 7, f. 64v, en
référence au style de Segneri l’Aîné, et Avv., chap. XIII, § 1, f.
56r), lesquelles, absentes ou rares dans la première phase de l’apostolat
populaire des jésuites et dans les directives et textes normatifs
officiels, sont introduites progressivement dans les pratiques, de manière
toujours plus systématique, à mesure qu’elles se sont révélées
“dispositives” (Avv., chap. XV, § 1, f. 62r) — au sens littéral:
qui dispose — au repentir, à mesure qu’elles se sont donc montrées
susceptibles de favoriser la poursuite des principaux objectifs de l’apostolat
(14). Il s’agit d’initiatives ordonnées en vue de solliciter et de régler
la participation des fidèles, en valorisant les mouvements affectifs qui
doivent conduire à une extériorisation du sentiment de culpabilité et du
besoin de l’expier: c’est précisément à travers elles qu’est établie la
visibilité du processus de conversion — avec son propre patrimoine de
persuasion et d’exemplarité — , à l’intérieur duquel les fidèles sont
guidés par les missionnaires.
L’examen
de l’intégration aux noyaux des éléments ajoutés (les parties fixes et les
parties mobiles) est précisément le travail principal de Baldinucci, dans
la compilation des Avvertimenti: dans le manuscrit, la supériorité
quantitative de ce type d’instructions et le soin que prend l’auteur à
indiquer les variantes possibles, variantes liées aux choix et aux
capacités des missionnaires, soulignent le degré de sensibilité pastorale
et de savoir technique et stylistique — nécessaires au contrôle de la
spécificité formelle des résultats poursuivis — , atteints par les
jésuites à cette date.
La valeur assumée par le système combinatoire des parties
fixes et des parties mobiles devient en fait plus évident dès lors que
l’on s’immerge dans la pluralité des styles parcourue dans les
Avvertimenti. Dans l’analyse de chaque funzione, décrite
d’après la manière personnelle d’un missionnaire, Baldinucci décompose
chaque processus en dizaines de segments.
Il
y a, par exemple, environ vingt parties par lesquelles il distingue la
première des deux processions diurnes qu’il examine (Avv., chap.
IX, § 7, ff. 40r-41r), y compris l’instruction pour les adultes qui ouvre
la funzione et le prêche qui la clôt; et plus de vingt parties, par
lesquelles il distingue la première des trois processions nocturnes
analysée et rapportée au style de Paolo Segneri l’Aîné (Avv., chap.
IX, §§ 10-12, ff. 41v-44r). C’est pour le lecteur
l’indication claire des possibilité de faire varier, par additions et
soustractions, selon le modus operandi de chacun et les
circonstances, précisément comme Baldinucci le souhaite. Il écrit par
exemple:
Il [un certain missionnaire] ne néglige
jamais de faire l’instruction de l’après-midi. Ce qui suit varie selon les
circonstances et en particulier quand il fait les processions de
pénitence, qu’il fait à la manière indiquée dans le chapitre 9, numéro 7,
8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17. (Avv., chap. XV, f. 63v, § 4)
Mais en choisissant, pour présenter sa
matière, un procédé si hautement analytique, il met en lumière un autre
thème qui lui est cher, celui de la variété, entendue non seulement comme
richesse spectaculaire (par rapport à la pauvreté matérielle qui
caractérise la mission), mais aussi comme ce qui réjouit et entretient le
fidèle, en le rendant attentif et dévotement occupé (Avv., chap.
III, § 3, f. 14v; et chap. IV, § 27, ff. 23v-24r). Et ici, la
préoccupation des jésuites de ne pas laisser perdre l’héritage de
l’ancienne règle oratoire du movere, delectare, docere
— même en la purifiant, dans le cadre de la prédication apostolique, de
ses implications mondaines — apparaît avec évidence (Majorana, 1999;
Majorana, 2001a).
La mémoire des sentiments et des
actes vécus
La
défense de la méthode que les jésuites opposent aux critiques qui leurs
sont faites invite à s’interroger sur le développement, dans leur système,
du secours visuel de la prédication et de l’action spectaculaire qui en
participe, et dont les Avvertimenti témoignent aussi.
Les missionnaires les considèrent nécessaires à la
fondation du rapport entre les pauvres et Dieu, autrement dit à la
réussite de la mission et au caractère durable de ses effets: les
événements sensibles produisent, chez les participants, une forte
impression intérieure et les actes réalisés constituent pour eux un moule
comportemental (15). Deux conditions qui, ajoutées à la catéchèse
élémentaire, à l’instruction, à la persuasion en vue du repentir et d’un
changement des habitudes, donnent sa forme à l’identité de bons chrétiens
que les fidèles — pénitents et réconciliés dans le sacrement — se
préparent à conserver après la mission, moyennant les pratiques de piété,
les oraisons vocales, les lectures spirituelles, les sacrements de la
confession et de la communion, et aussi, moyennant les congrégations
érigées ou rétablies par les jésuites, ainsi que l’assistance des laïcs
instruits et des prêtres capables (16).
Non seulement chaque expérience publique,
individuelle ou collective, réalisée par les fidèles dans le courant de la
mission, constitue un acte formateur et exemplaire, mais elle engage aussi
chaque fidèle, précisément parce-que publique, vis-à-vis de la communauté.
Le lien entre persévérance dans la pénitence et dans la ferveur et
expérience missionnaire se trouve donc être très fort, puisque les
jésuites considèrent cette dernière non seulement comme une occasion de
conversion, mais aussi comme le paradigme de la vie vertueuse
(Majorana, 2002, pp. 310-312).
En
cohérence avec leurs conceptions, ils visent à la constitution d’une
mémoire personnelle d’actes réalisés et de fortes représentations
intérieures qui, à travers l’expérience faite, en tant que participant
comme en tant que spectateur, pendant la mission, puisse opérer en
profondeur dans la vie quotidienne de chaque fidèle.
Il faut noter à ce propos que, excepté quelques objets de dévotion
(Avv., chap. IV, § 6, f. 18v), les jésuites de la province de Rome
ne laissent d’habitude aucune trace matérielle symbolique de la mission.
On peut, au contraire renvoyer, par exemple, à la grande diffusion, entre
la seconde moitié du XVIIe siècle
et le siècle suivant, de la pratique de l’érection de croix, en des lieux
particulièrement visibles, comme signes de consécration à Dieu de la
communauté reconduite vers la foi (Nanni, 1996, p. 401): après 1730
environ, cette pratique sera typique des jésuites de la France du Nord, de
la Bavière, de la Basse Autriche.
Dans le
même esprit, Grignion de Montfort édifie un ‘calvaire’ à Pontchâteau en
Bretagne, en 1709-1710, puis à Sallertaine (Châtellier, 1993, pp.
147-161). Au milieu du XVIIe siècle
déjà, quelques calvaires avaient été dressés en Sicile par le missionnaire
jésuite Luigi La Nuza (Frazzetta, 1677, pp. 70-75).
Dans les Avvertimenti de Antonio
Baldinucci on peut donc saisir la tentative jésuite de réagir à une époque
de grands changements pastorals qui n’ont pas toujours été favorables à
l’extériorisation sensationnelle et aux pratiques pénitentielles
missionnaires (Orlandi, 1974; Rusconi, 1992, pp. 252-259; Châtellier,
1993, pp. 8, 59, 113-118, 120-121, 245, 270-276; Orlandi, 1994, pp.
435-436, 442-444). Mais il faut avant tout considérer les Avvertimenti
comme une définition, arrivée à maturation, du ministère de la prédication
populaire dans les campagnes, au sein de laquelle la culture missionnaire
est élevée à la dignité d’un art convoquant avec force les fondements
spirituels et moraux des opérations sensibles et des formes spectaculaires
préférées, et exaltant les valeurs de la spécialisation des compétences
techniques et des aptitudes personnelles de chaque missionnaire.
La
contribution méthodologique de Baldinucci, puisant dans l’expérience
directe de l’auteur et sa capacité d’analyse critique, témoigne de manière
exemplaire de l’ensemble de la tradition missionnaire des jésuites romains.
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ruolo delle congregazioni e degli ordini religiosi (S. Nanni, Éd.),
270-290.
NOTES
(1) Le
travail sur Baldinucci que je présente ici a été discuté pendant le
colloque Histoire culturelle et histoire sociale: les missions
religieuses dans le monde ibérique, organizé par le Groupe de
recherches sur les missions religieuses ibériques de l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales (Paris, 25-27 mai 2000). Il s’inscrit dans une
recherche globale sur les missions populaires jésuites (en particulier
celles de la Province de Rome), dont j’ai déjà publié certains résultats
partiels qui seront évoqués plus loin. Dans ces travaux, je me réfère,
outre aux directives émanant des supérieurs et à de nombreuses sources
éditées, à une vaste série de sources manuscrites (principalement lettres
et comptes-rendus, destinés à une circulation interne et à lecture, et
souvent utilisés pour la compilation des Litterae Annuae). Ces
sources sont analysées dans Majorana, 1996. Il s’agit des fonds suivants,
conservés à l’Archivum Romanum Societatis Iesu (ARSI): pour la série
relative à la Historia Romana, les vingt-deux volumes de 1547 à
1772, cotés Rom. 127/I-II, 128/I-II, 129/I-II, 130/I-II, 131/I-II,
132/I-II, 133/I-II, 134/I-II, 135, 136, 137, 138, 139/I-II, en plus de
cinq volumes uniquement centrés sur des questions de mission, cotés Rom.
181/I-II (documents qui couvrent les années 1653-1698), Rom. 182
(1701-1703), Rom. 184/I (sur l’activité de Antonio Tomassini entre 1665 et
1702, décrite aussi dans d’autres volumes de la Historia Romana),
Rom. 184/II (sur les missions de Antonio Baldinucci entre 1697 et 1706).
Pour la Historia Neapolitana, cinq volumes sur la période
1551-1675: Neap. 72, 74, 74a (qui contient aussi deux rapports imprimés),
75, 76 (le vol. Neap. 73 est signalé manquant depuis 1996). Quatre volumes
pour la Historia Veneta: Ven. 103, 106/I-II, 107/I.(volta)
(2) Une
copie des Avvertimenti est conservée à ARSI, Rom. 184/II, ff.
476r-497v. Deux autres textes à caractère méthodologique doivent être
attribués à Antonio Baldinucci: ARSI, Rom. 184/II, Anonimo, Sistema ed
ordine tenuto dal padre nelle seguenti missioni, ff. 369r-376v,
probablement rédigé par un compagnon et intéressant les missions
effectuées par Baldinucci entre 1697 et 1707 (il porte la trace de
quelques corrections autographes de Baldinucci, ce qui constitue un indice
clair du fait qu’il a révisé le texte); ARSI, Opp. Nn. 211,
Ragionamenti per la missione, apographe du XVIIe-XVIIIe siècle
(sur la question de l’attribution de ce document: Majorana, 1994, pp.
357-378 et Majorana, 1996, pp. 145-148). On connaît quatre copies
ultérieures (XIXe siècle)
de ce dernier texte: Archivio della Provincia Torinese della Compagnia di
Gesù, Opera inedita del padre Antonio Baldinucci, qui était avant à
la maison jésuite de Sant’Antonio a Chieri (Torino); ARSI, Opp. Nn. 371a,
Le sacre missioni. Istruzioni e prediche; ARSI, Opp. Nn. 371b,
Copia dei Ragionamenti per la missione, qui était avant à la
Biblioteca dell’Oratorio del Caravita a Roma; ARSI, Opp. Nn. 96,
Missioni del venerabile padre Antonio Baldinucci, incomplet.(volta)
(3) Il existe un autre
texte, qui récapitule de manière précise les critères opératoires et la
pratique du travail missionnaire entre la fin du XVIIe et
le début du XVIIIe siècle,
écrit par Fulvio Fontana (1648-1723), mais édité par Marco Aurelio
Franchini, prêtre séculier collaborateur de longue date de Fontana,
lui-même compagnon de mission, pendant quelques années, de Paolo Segneri
l’Aîné (1624-1694), à la méthode duquel le titre du livre fait référence
(Fontana, 1714; suivi de nombreuses rééditions).
Tout en
constituant un important témoignage, le texte n’est cependant pas écrit
exclusivement pour les jésuites, mais pour faire connaître largement les
pratiques missionnaires de la Compagnie.(volta)
(4) Il est probable que, au moins pour ce
qui concerne les jésuites, lorsqu’il affirme que “la littérature des
ordres religieux et des congrégations spécialisées” a produit “à jet
continu des manuels de méthode des missions intérieures” (Prosperi, 1996,
pp. 600-607) fasse référence à cette multiplicité des sources — qui en
effet contiennent aussi des informations sur l’organisation du travail —
plutôt qu’à une production à caractère proprement méthodologique,
laquelle, du moins dans le cadre des recherches que j’ai poursuivies
jusqu’à présent, me paraît avoir un développement tout à fait singulier
précisément dans les Avvertimenti.(volta)
(5) Le débat sur le caractère individuel du
style de l’éloquence traverse le milieu jésuite de la seconde moitié du
XVIIe siècle: voir en
particulier les positions de Daniello Bartoli sur l’oratoire pathétique,
en tant qu’expression des affects et capable d’opérer sur les affects,
capable de movere, par opposition à l’oratoire ingénieuse et
fleurie, qu’il considère comme inefficace à persuader (Battistini et
Raimondi, 1984 et 1990, pp. 180-185).(volta)
(6) Ce
qui vient d’être dit induit une autre considération: la question de l’attitude,
du talent, de la capacité, posée par Baldinucci, ne regarde pas seulement
les aspects stylistiques de l’activité missionnaire, mais reflète aussi
les critères qui doivent participer au choix des sujets à appliquer aux
divers ministères, et à l’évaluation de leur travail par les supérieurs (voir
l’allusion de Baldinucci à la responsabilité des supérieurs dans l’extrait
cité supra). Ceci renvoie à cet instrument typiquement jésuite d’évaluation
des caractéristiques et des capacités individuelles, que sont les
Catalogi, une source qui reste encore à explorer systématiquement (Dompnier,
1985; pour le cas brésilien, une première analyse dans De Castelnau-L’Estoile,
2000). Et il renvoie aussi à ces registres para-vocationnels que sont les
recueils d’Indipetae, lettres par lesquelles les jésuites adressent
au général leur demande d’envoi vers les missions des Indes (voir les
notes de contextualisation de Lamalle, 1968, pp. 160-162; Roscioni, 2001;
sous le point de vue psychologique: Vilela e Souza et Massimi, 2003).
Parmi les aspirants, nombreux furent ceux qu’on assigna, au contraire, à
la mission intérieure (parmi eux, on rencontre Segneri l’aîné et
Baldinucci lui-même). Il serait intéressant, dans cette perspective de
confronter ces sources avec les sources missionnaires directes.(volta)
(7) Bien
qu’étant un produit destiné à l’instruction, les Avvertimenti ne
donnent le patrimoine normatif de la Compagnie que comme postulat: aucune
référence explicite n’est faite ni aux directives officielles pour les
missionnaires, ni aux règles pour la vie spirituelle et pour la discipline
de la pauvreté, de l’obéissance et de l’indifférence, en vue de la
réalisation des devoirs du ministère de prédicateur ou de confesseur;
celles-ci, jointes aux normes générales de l’institution, constituent
pourtant la structure sous-jacente de l’activité missionnaire (Majorana,
2001a). On notera aussi l’absence de thèmes qui, d’un point de vue
historiographique, et notamment en rapport avec la question du style, sont
particulièrement intéressants, comme par exemple, d’éventuelles réflexions
sur les différences entre les conditions de déroulement des missions, dans
les campagnes et en ville (dualité qui, à l’époque des Avvertimenti,
existe depuis au moins quarante ans), que Baldinucci présente, au
contraire toujours ensemble, suivant une entière homogénéité de style (laquelle
émerge, d’autre part, aussi des sources narratives et épistolaires
contemporaines) et en se limitant, tout au plus, à attirer l’attention sur
des solutions qui porteraient davantage leurs fruits en milieu urbain qu’en
milieu rural (par exemple Avv., chap. XIII, § 3, f. 57v).(volta)
(8) Voir
l’affaire, remontant à l’année 1701, qui oppose le supérieur de la
Province jésuite de Venise, le père Giovan Vincenzo Imperiali, qui entend
épurer les missions à venir dans la région de Modène de leurs formes
solennelles et sensationnelles, et le père Domenico Casoni, qui les
considère au contraire nécessaires à l’obtention de fruits (la question
est analysée par Orlandi, 1972, pp. 163-170). Un autre débat significatif
a pour protagonistes le bénédictin Mauro Alessandro Lazarelli et Paolo
Segneri le Jeune (1673-1713), en mission à Modène en 1712, et que le moine
attaque, dans un mémoire fortement critique, à propos du pouvoir de
séduction et de la théâtralité de son style missionnaire (Lazarelli,
1972). Segneri ne recule pas d’un pas dans sa défense de la validité du
système jésuite, malgré la tentative de son ami Lodovico Antonio Muratori
pour qu’il modère le “sensible” présent dans ses missions (Muratori, 1972,
pp. 183-186). Même le dernier compagnon de Segneri le Jeune, l’abbé Jacopo
Lomellino, affirme: “leur méthode [des jésuites] est celle avec laquelle
on fait un bien énorme”, bien que “de nombreuses choses, qui sont
nécessaires, apparaissent, au départ, comme des extravagances” (cité par
Galluzzi, 1716, pp. 193-194).
On
pouvait opposer des résistances évidentes aux habitudes spectaculaires des
jésuites, y compris dans le cours des missions, et notamment dans le
clergé local, qui n’était pas toujours disposé à se montrer en habit de
pénitent, comme on peut l’entrevoir dans les Avvertiments: “Il
importe énormément que les ecclésiastiques soient les premiers à donner le
bon exemple dans les processions de pénitence qui se font et qu’ils
provoquent une grande componction quand, tous ensemble, en soutane,
déchaussés, corde au cou et couronne d’épines sur la tête, ils se trouvent
dans ces processions.
Pourtant,
bien qu’on n’ait pas à les contraindre, on doit les exhorter,
comme on doit aussi supplier les ordres religieux” (Avv.,
chap. VIII, § 5, ff. 35v-36r; c’est moi qui souligne).(volta)
(9) Ce n’est pas un hasard si, dans une
autre forme importante d’apostolat populaire contemporain, comme l’était
celle des capucins, fondée sur des idées analogues quant à l’humiliation
visible et à la pénitence du corps considérés comme des moyens efficaces
pour le déroulement de la pastorale auprès des pauvres (Dompnier, 1997,
pp. 242-244, 247), on trouve le recours à des critères d’intervention
spectaculaires et pénitentiels même s’ils ne sont pas aussi complexes et
systématiques que ceux mis en œuvre par les jésuites (voir par exemple,
les quarante heures des capucins: Cargnoni, 1986, coll. 2702-2723). Au
contraire, comme on l’a vu, les expériences missionnaires comme celles des
lazaristes, dans lesquelles le but incontournable de la pauvreté
évangélique n’est pas relié à des procédés ostentatoires, se sont
structurées sur un mode délibérément anti-spectaculaire (Majorana, 2002,
pp. 317-320).(volta)
(10) Cette
conception soutient déjà la pratique missionnaire de Silvestro Landini
(1503 ca. et 1554), qui fut actif en Toscane et en Corse: il représente,
pour les jésuites, le plus ancien modèle de missionnaire rural. En 1673,
Daniello Bartoli résume la voie ‘landinienne’ de l’apostolat missionnaire,
en reprenant les paroles, d’approbation complète, d’Ignace de Loyola, son
maître, qui affirme qu’on ne doit pas “séparer ce ministère apostolique
des missions de la très grande pauvreté, et âpreté avec
lesquelles Landini l’exerçait: tout en sachant bien combien apporte à
leurs buts, qui est la conversion des peuples, la sainteté
du prédicateur, et avant tout cette partie d’elle qui concerne les
pénitences, et se voit le plus, et qui, plus que toute
autre, saisit les hommes qui comprennent moins où est déposée
la perfection de l’esprit.
Et
la raison veut que, pour l’utilité de ceux-ci, nous nous adaptions
à la disposition de leur comprendre et de leur juger” (Bartoli, 1825, p.
38; c’est moi qui souligne). À ce propos Majorana, 2002, pp. 300-302,
313-314).(volta)
(11) Les
capucins eux-mêmes partent d’un même présupposé, mais du point de vue du
style d’apostolat ils s’engagent dans des voies différentes où la pauvreté
visible est signe du caractère exceptionnel de l’apparition et de la
présence du prédicateur, en tant qu’il est étranger au monde (Dompnier,
1994, pp. 21-59; Dompnier, 1995, pp. 159-170). La rigueur corporelle est,
au contraire, expressément interdite aussi bien par les lazaristes (Regulae
C.M., 1985, chap. X, §§ 15-17, pp. 220-222; Mezzadri et Román, 1992,
pp. 203-207; Bollati, 1995, p. 140) que par les pii operai (Vizzari,
1994, pp. 276, 282), qui non seulement refusent l’ostentation
pénitentielle mais encore considèrent le bien-être physique du
missionnaire nécessaire à la réalisation de son œuvre apostolique.
Baldinucci aborde la question de la santé du corps, qu’il faut tempérer
par les habitudes d’austérité édifiante des missionnaires, à propos de l’exercice
indispensable de la discrétion et de la nécessité de donner un exemple de
modération: l’alimentation, le sommeil, le fait d’aller déchaussé, le
vêtement, le logement doivent suffire à aider le missionnaire dans la
réalisation de son œuvre, sans jamais contraster pourtant avec la
pénitence qu’il prêche, mais au contraire en l’exaltant dans le fait de la
rendre manifeste (Avv., chap. II, §§ 5-7, ff. 10v-12r; Avv.,
chap. III, § 1, f. 13r-v).(volta)
(12) La
complexité des significations de cette action pénitentielle, ajoutée à la
parole et aux chants dont le prédicateur l’accompagne en général, peut
être tirée de sources très nombreuses. La flagellation publique est
définitivement mise au point en 1671, dans le milieu de la Province de
Rome, par Segneri l’Aîné: l’action est toujours décrite comme étant d’une
grande précision et capable de produire surprise et troubles parmi les
présents (Majorana, 1998-1999, pp. 209-230; Majorana, 2001, pp. 87-102).
Le modèle de Segneri, avec peu de variantes, sera généralement adopté par
la majeure partie des missionnaires suivants: à l’époque de Baldinucci, la
discipline du prédicateur est complètement intégrée dans la culture
missionnaire, comme on peut le voir aussi dans les lettres et les récits
contemporains. Dans les Avvertimenti la discipline du missionnaire
est fréquemment décrite comme une partie significative de différentes
phases de la mission, du prêche à la procession de pénitence ou à
certaines dévotions (Avv., chap. IX, X, XV et, en particulier, chap.
XIII, § 1, f. 56v, cité infra).(volta)
(13) Sur cette question,
voir un extrait particulièrement représentatif des Avvertiments,
dans lequel il faut noter que la bénédiction papale dont parle Baldinucci
est l’acte officiel qui clôt les missions et qui doit nécessairement
suivre le cycle complet des prêches et instructions, ainsi que la série
des expériences de componction et de dévotion, qui ont préparé les fidèles
à la confession et à la communion, c’est-à-dire à la pénitence, à la
promesse et à la réconciliation sacramentelles: “Le Souverain Pontife
concède sa bénédiction à tous ceux qui ont assisté à la mission, et le
père missionnaire la donne en son nom, le dernier jour, à tous ceux qui se
trouvent présents. Et bien que ce soit un jour de jubilation, rien n’est
plus profitable que de le terminer par la pénitence. Tout le peuple étant
donc regroupé après midi pour écouter la dernière instruction, s’avance
alors, à la manière décrite dans le chapitre 9, numéro 7, la dernière et
solennelle procession de pénitence, qui s’arrête en un vaste espace, puis
le prêtre fait le prêche soit sur le paradis, soit sur la persévérance,
soit sur les châtiments que Dieu peut envoyer à ceux qui ne tirent aucun
fruit de la mission. A la fin, il dispose l’audience à recevoir la
bénédiction, en l’excitant au repentir des fautes et à détester
singulièrement les abus qui existaient précédemment et qui ont été
supprimés avec les missions, - tel celui du jeu de cartes et dés, qui sont
publiquement jetés au feu à ce moment -, et donc à remercier le Seigneur
de tant de faveurs distribuées pendant ces journées, en suppliant les
prêtres de chanter solennellement le Te Deum et le peuple de
répondre, en alternance, par le Lodato e ringraziato sempre sia il nome
di Giesù e di Maria. Mais, pendant ce temps, prévoyant les récidives
de beaucoup de monde et les attribuant à ses propres fautes, il les pleure
aux pieds du Seigneur crucifié: ayant alors déposé son surplis et son
étole, — qu’on utilise pour le prêche uniquement en ce jour — , ayant de
nouveau repris ses insignes de pénitence, c’est-à-dire la corde au cou et
la couronne d’épines sur la tête, il retire rapidement sa soutane, ne
gardant qu’un autre vêtement ouvert sur les épaules, il s’agenouille
devant l’image sacrée et se flagelle, s’interrompant seulement pour s’adresser
au Christ. Ce qui provoque un tel mouvement de componction que, après le
premier vers du Te Deum, on n’entend plus qu’un horrible vacarme de
pleurs et de cris qui répètent fort: piété, pardon, miséricorde. Le père
s’étant alors levé, il prie le Seigneur de bénir d’abord les prêtres et
les religieux, tout en leur donnant indirectement et comme par accident
quelques avis salutaires; puis les pères de famille, les enfants, et tous
les autres avec leurs maisons et leurs biens. Et les excitant de nouveau à
la componction, il donne la bénédiction à l’aide du crucifix, et entonne
tout de suite Lodato e ringratiato sempre sia il nome di Giesù e di
Maria, Giesù e Maria vi dono il cuore e l’anima mia.
Et
après avoir fait très brièvement quelques rappels, et s’étant recommandé
aux oraisons de tous, en les priant de communier au plus vite, d’écouter
une messe et de réciter un rosaire selon ses intentions, il renvoie un à
un les peuples qui étaient venus du dehors, lesquels chantant les
litanies, tous en procession et baignés de larmes, repartent vers leurs
villages, et il quitte aussitôt la petite table [sur laquelle il prêche]
pour s’en aller vers d’autres missions, sans admettre aucune sorte
d’accompagnement. Et le peuple du village, après avoir accompagné les
étrangers sur un bref parcours, s’en va à l’église réciter le rosaire pour
terminer saintement toute la journée” (Avv., chap.
XIII, § 1, ff. 56r-57r;
c’est l’auteur qui souligne).(volta)
(14) L’idée
de la nécessité de ‘disposer’ le peuple à travers des funzioni
capables de produire une plus grande componction et ferveur revient dans
de nombreuses parties des Avvertimenti (par exemple: Avv.,
chap. 6, § 2, f. 29r; Avv., chap. VII, § 6, f. 34r; Avv.,
chap. VIII, § 11, f. 37r; Avv., chap. IX, § 8, f. 41v; Avv.,
chap. XI, § 1, f. 50r; Avv., chap. XIII, § 1, ff. 56r-57r).(volta)
(15) L’abbé
Muratori l’explique avec efficacité à propos de l’apostolat de Segneri le
Jeune: “Il faut ou procurer ou permettre tout cet extérieur et
retentissant des missions, autant pour ce qui concerne les
disciplines, les habits de pénitence, les processions etc., que pour
toutes les autres nouveautés qui sont en usage à ce moment, parce que les
hommes sont pleins d’affects, à cause des affaires domestiques et
matérielles, et à cause des plaisirs, des amours et autres passions
semblables. On pourrait prêcher énormément, que cela n’y ferait
rien. Il faut donc avec ces nouveautés rompre les pensées des gens,
et faire descendre ces fantômes, afin que, libéré, l’esprit puisse
revenir à lui et bien recevoir et ruminer les choses de Dieu et les
intérêts de la vie éternelle” (Muratori, 1972, p. 257; c’est moi qui
souligne). Voir Majorana, 2001a, à propos de cette observation de Muratori.(volta)
Note
à propos de l’auteur
Bernadette
Majorana
s’occupe du rapport entre expérience personnelle, culture religieuse et
représentation (en particulier visuelle et théâtrale) à l’âge moderne, et
enseigne Histoire du théâtre et du spectacle à l’Université de Bergame (Italie).
bernadettemajorana@libero.it
Data de
recebimento: 08/03/2003
Data de
aceite: 25/03/2003
Memorandum 4, Abr/2003
Belo Horizonte: UFMG; Ribeirão Preto: USP.
http://www.fafich.ufmg.br/~memorandum/artigos04/majorana01.htm